Responsable des Expertises Immobilières – Sud-Ouest, Expert Rev by TEGoVA – Galtier Valuation
Directeur développement clientèle institutionnelle , MRICS RV – REV by TEGoVA/IFEI – Galtier Valuation
En partenariat avec la Lettre M²
VALEUR IMMOBILIÈRE ET RECUL DU TRAIT DE CÔTE
Quelle équation, quelle approche ?
Malgré l’accélération des épisodes de submersion marine, les territoires littoraux français continuent de faire l’objet d’une forte attractivité. Pourtant, des immeubles vont disparaître. Constat est fait que « le trait de côte recule et que nous regardons ailleurs ».
Comment se comporte le marché de l’immobilier résidentiel littoral ?
Contre vents et marées, dans un contexte géopolitique et économique moins porteur, la progression des valeurs immobilières dans les communes littorales se poursuit. Selon la FNAIM, les prix de ces communes affichaient en novembre 2023 une hausse moyenne de +3,4 % sur un an et +12,8 % en deux ans, rythme supérieur aux évolutions constatées au niveau national. Prémisses d’une réflexion prudentielle : le marché des 80 stations balnéaires affectées par la montée des eaux connaissait, selon la même étude, une évolution des prix plus limitée : +1,8 %.
Après les années Covid (+12 %), l’engouement pour le littoral atlantique s’est quelque peu assagi, les valeurs ayant enregistré une évolution limitée (+1,8 %). De longue date concerné par la raréfaction de l’offre foncière, le littoral méditerranéen voit ses valeurs moyennes dépasser le seuil des 6.000 €/m² (+5,2 % en un an et près de 14 % en deux ans). Le marché parait, selon nous, s’orienter vers une vision duale : les prix des stations familiales, tous littoraux confondus, semblent désormais plafonner avec l’acquisition d’une conscience du risque : ainsi à Criel-sur-Mer et Dieppe où des pans de falaises se sont effondrés, à La Tranche sur Mer où la dune a reculé dans des proportions inédites, la menace est également forte dans les stations du Languedoc. À l’inverse, la prime attachée à la rareté des propriétés pieds dans l’eau ne se dément pas, ainsi qu’en attestent quelques ventes supérieures à 50 M€ enregistrées sur la Côte d’Azur en 2022 et 2023 (Château de la Groupe, Villas Maryland) ou sur le Bassin d’Arcachon. L’immobilier constituant, pour ces happy few, un simple objet de diversification patrimoniale permettant d’accepter l’aléa…
Quelle est la pratique expertale ?
La valeur retenue est pour l’heure rarement corrigée et n’intègre pas le risque de disparition inéluctable. Dans un paysage où le désir de rivage reste plus fort que la peur de tout perdre, le marché est encore dans le déni bien que le droit de propriété des biens concernés soit désormais peut-être à « durée déterminée ». La valeur recherchée par l’expert ne devrait-elle pas s’apparenter à une valeur résiduelle d’utilisation ? L’expert est enfermé dans un dilemme : retenir comme fondements de ses valeurs des transactions issues d’un marché qui ignore la fatalité où intégrer le risque de disparition du bien dans sa trame de calcul en augurant sa réalisation prochaine
La loi préconise la méthode par comparaison, qu’en pensez-vous ?
L’article L 219-7 du code de l’urbanisme, modifié par l’ordonnance du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte, énonce que la valeur du bien immobilier exposé sera en priorité déterminée par comparaison, au regard des références locales entre biens de même qualification et situés dans la même zone d’exposition à l’érosion. La première difficulté tient à ce que la méthode par comparaison ne peut être utilisée pour toutes les classes d’actifs car elle est pour certaines d’entre elles inadaptée voire inapplicable.
La valeur de certains biens dont l’usage est professionnel est classiquement approchée à titre principal via des ratios professionnels puisque, faute de comparabilité des références, la méthode par le marché ne peut être mise en œuvre. Le rédacteur de l’ordonnance ajoute « qu’en l’absence de références pertinentes identifiables dans la même zone d’exposition, une décote proportionnelle à la durée de vie résiduelle prévisible pourra être appliquée à la valeur du bien estimée hors zone d’exposition au recul du trait de côte ».
Le mode d’emploi du calcul de cet abattement n’est pas fourni à ce jour. Pour déterminer la décote, l’expert devra intégrer une date de survenance du risque qui, pourtant, est hypothétique.
Les points sommairement évoqués, les montants qui seront en jeu, et les désaccords qui naîtront conduisent à penser que le risque de multiples contentieux est patent.